DES CAS D’EXHIBITIONNISME - Préface
DES CAS D’EXHIBITIONNISME
Préface
Ici, à Lisbonne, et absorbé dans des occupations qui nous éloignent, nous avons lu il y a quelques mois ce fait, qui jusqu'à ce jour-là nous avait resté ignoré: de ce que qu'on exposait, dans des music-halls, (...) - à Paris, des femmes-nues. Cela sentait si fort la décadence - la grande, la profonde décadence - que la surprise m'a été plus que douloureuse. Mais il n'y avait pas là-dedans - je reflechis - rien à s'étonner. Étant données les immenses forces de décadence - s’il y a quelque chose que l'on puisse appeler une force de décadence - déchaînés depuis longtemps dans la civilization moderne et, spécialement, dans la France, qui la répresente plus que toute autre nation, il n'était pas difficile à prevoir que l'on verrait dans peu de temps des formes plus accentuées - plus accentuées je veux dire, pour la vision - de dégénérescence sociale.
Et pourtant tout esprit naturellement, quoique modestement, épris du bien de l'humanité s'endormait volontairement, voulant échapper en quelque manière à l'inévitable par l'ignorance. Mais ceci ne pouvait durer. Ces «formes plus accentuées», plus visibles «de la décadence», dont je viens de parler, devraient un jour se présenter. Ce jour venu, le péril vu clairement, complètement, il n'y avait pas d'excuse pour l'esprit le plus modeste dans sa sincérité, soit pour rêver, soit pour espérer, soit pour vouloir ignorer.
Rêver, espérer passivement, ignorer volontairement - ce serait lâcheté morale, complicité, ou par lâcheté, ou par analogie de nature.
Quand le bruit des canons éclate, quand la fumée de la poudre s'élève - on ne peut ignorer que la bataille a commencé. S'abstenir d'y prendre part, refuser à défendre les siens, ce serait, ou une lácheté pure ou une trahison.
Or la guerre entre la décadence et la société a éclaté; que les forts et les sains d'esprit, les logiques, les cohérents, les penseurs, les sincères viennent défendre l'humanité contre l'homme.
II
Le but de ce livre reste indiqué dans les lignes ci-haut. Il n'est qu'une balle dans le combat. Mais étudions d'abord, dans quelques lignes, la forme qui doit prendre cette bataille. Si nous étions un grand et fort esprit, instruit et pondéré, nous aborderions la question de la dégénérescence de la civilization occidentale, et, surtout, de la France, dans toute son ampleur, en étudiant toutes ses formes, toutes ses tendances, toutes ses (...). Nous en étuderions l'étiologie, les symptomes, la thérapeutique; nous en ferions le [...] dans la mesure du possible. Ce livre-là, si l’on pourrait l'écrire, serait une belle oeuvre, une oeuvre vraiment utile. Mais l'entreprendre, non seulement pour nous, mais pour de beaucoup qui valent bien plus que nous, n'aboutirait qu'à une oeuvre manquée.
Nous avons donc pris un fait seulement - le fait que nous citions aux premières lignes de cette préface - et de ce fait nous avons cherché à déduire l'état de la conscience et du psychisme social dont il n'était qu'une manifestation.
Même ainsi, 1'oeuvre ne devient pas facile. On a d'abord à prouver une chose que beaucoup de gens ne voudraient pas croire, si vraie qu'elle soit; ensuite, il faut faire sortir de ce fait, ainsi éclairé, la signification qu'il a comme symptome. C'est déjá beaucoup.
Nous ne sommes cependant pas satisfaits, si notre livre appelle un peu 1'attention, non exclusivement ou spécialement sur ce fait oú il est basé, mais sur l'état d'esprit collectif qu'il représente.
Lisbonne, (...) J[ean] S[eul]
Pessoa por Conhecer - Textos para um Novo Mapa . Teresa Rita Lopes. Lisboa: Estampa, 1990.
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