Il a apporté au gouvernement des qualités si inattendues…
Il a apporté au gouvernement des qualités si inattendues et en même temps si sympathiques en elles-mêmes, qu'il a acquis en peu de temps, non pas l'affection — il n'est pas de nature à l'obtenir — mais la considération et le respect des impartiaux, voire des adversaires de la dictature dont te fanatisme n'était pas trop accentué. La clarté de son intelligence et la fermeté de sa volonté — qualités si peu portugaises —, la modestie et l'effacement de sa vie dévouée et laborieuse — qualités si peu ministérielles — lui ont conquis la sympathie un peu étonnée du public amorphe, intéressé et volontiers optimiste dont se compose la bourgeoisie non politique, qui en est la plupart presque partout.
On n'était pas évidemment en état de critiquer son oeuvre, exclusivement financière. Le public n'est pas, collectivement, très vaniteux et il ne se vante pas aisément de comprendre ce qu'il sait parfaitement qu'il ne comprend pas. L'homme lui était sympathique; il lui était sympathique précisément par des qualités de caractère auxquelles on pouvait s'attendre dans un administrateur-né: on croyait en ses budgets et ses comptes publics parce qu'on croyait en lui, au moins à ce propos. Mais jusque là il n'était que Ministre des Finances et il n'y avait (pas) d'autre propos au sujet duquel on eut pu le juger.
Certes, l'agitation politique continuait: elle a éclaté frustement, dans une pseudo-sédition de comédie, le (...); elle est venue de nouveau à la surface, à Madére, de (...) et il n'y a eu là de (...) que l'insularité de la révolte, ridicule en elle-même. Tous ces mouvements n'avaient rien à voir avec Salazar: ils n'étaient que contre la Dictature; on n'y pensait pas à l'homme apparemment extra-politique qui tenait le portefeuille des Finances.
Dans cette sympathie un peu froide, dans cette considération pas trop affective un élément de doute et d'hésitation se glissait pourtant lentement. Durant le temps que Salazar avait été Ministre des Finances, et rien que ça, il y avait eu quelques crises ministérielles et quelques changements ou récompositions de ministère. Dans tous ces changements Salazar intervenait décisivement:
c'était lui qui décidait — on commençait à le voir — du sort de tel ministère, du sort de tel ministre. On a cru d'abord, et peut-être était-ce vrai, qu'il ne faisait que défendre son fauteuil, à fin de maintenir, et c'était légitime, la continuité de son oeuvre, laquelle, par sa nature, avait besoin de continuité et de sa permanence au ministère, pour que cette continuité fût intelligemment maintenue. On remarquait pourtant que, quoiqu'il en fût pour ces raisons, Salazar mettait trop d'astuce, des ruses assez inattendues, des trucs sournois et inattendus dans les agencements par lesquels il se débarrassait de tel ministre, il favorisait l'entrée de tel autre. Des ruses potitiques? Parfaitement. Mais on avait formé de cet homme une idée, et c'était celle qui lui était favorable, où les ruses de basse politique et la diplomatie d'antichambre n'avaient pas de rôle à jouer. Quand on respecte un homme surtout par la simplicité de son caractère, c'est quelque peu déconcertant de découvrir que ce caractère n'est pas simple. Une certame méfiance commença de naître; et ceux qui n'avaient eu pour Salazar qu'une sympathie très froide se demandaient déjà si l'homme qui se montrait si habile dans les trucs de la politique, dont il était censé peu savoir, n'en aurait pas donné des exemples ignorés dans les budgets et les comptes, où il était comme chez lui.
Les choses en étaient encore là — les politiciens hostiles et impuissants, le grand public froidement hostile, le petit public froidement sympathisant — quand, le 2 juillet 1932, l'évènement s'est donné qui a changé le cours de la dictature portugaise et fait jaillir, d'une simple dictature militaire à la Primo de Rivera, l'actuelle dictature à la Mussolini. Ce jour-lá, à Richmond, en Angleterre, le Roi Manuel est mort.
Pessoa Inédito. Fernando Pessoa. (Orientação, coordenação e prefácio de Teresa Rita Lopes). Lisboa: Livros Horizonte, 1993.
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